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Le Blog de Voltaire

Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes ?

On entend aujourd’hui par fanatisme une folie religieuse, sombre et cruelle. C’est une maladie de l’esprit qui se gagne comme la petite vérole. Les livres la communiquent beaucoup moins que les assemblées et les discours. On s’échauffe rarement en lisant : car alors on peut avoir le sens rassis. Mais quand un homme ardent et d’une imagination forte parle à des imaginations faibles, ses yeux sont en feu, et ce feu se communique ; ses tons, ses gestes, ébranlent tous les nerfs des auditeurs. Il crie : Dieu vous regarde, sacrifiez ce qui n’est qu’inhumain ; combattez les combats du Seigneur ; et on va combattre.

Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère.
Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances : il pourra bientôt tuer pour l’amour de Dieu.

Il y a des fanatiques de sang-froid : ce sont les juges qui condamnent à la mort ceux qui n’ont d’autre crime que de ne pas penser comme eux ; et ces juges-là sont d’autant plus coupables, d’autant plus dignes de l’exécration du genre humain, que, n’étant pas dans un accès de fureur, il semble qu’ils pourraient écouter la raison.
Il n’est d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal : car dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir et attendre que l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes ; la religion, loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés.

Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage : c’est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre.
Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?
Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J’ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de saint Pâris, s’échauffaient par degrés ; leurs yeux s’enflammaient, tout leur corps tremblait, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tué quiconque les eût contre- dits.
Oui, je les ai vus ces convulsionnaires, je les ai vus tordre leurs membres et écumer. Ils criaient : Il faut du sang.
Ce sont presque toujours les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains ; ils ressemblent à ce Vieux de la montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils iraient assassiner tous ceux qu’il leur nommerait.

Quel tissu de fourberies, de calomnies, de larcins, tramé par les fanatiques de la cour de Rome contre les fanatiques de la cour de Calvin ; des jésuites contre les jansénistes, et vicissim ! et si vous remontez plus haut, l’histoire ecclésiastique, qui est l’école des vertus, est aussi celle des scélératesses employées par toutes les sectes les unes contre les autres.
Tout fanatique est fripon en conscience, comme il est meurtrier de bonne foi pour la bonne cause.

La religion mal entendue est une fièvre que la moindre occasion fait tourner en rage.
Le propre du fanatisme est d’échauffer les têtes. Quand le feu qui fait bouillir les cervelles superstitieuses a fait tomber quelques flammèches dans une âme insensée et atroce, quand un ignorant furieux croit imiter saintement Phinée, Aod, Judith, et leurs semblables, cet ignorant a plus de complices qu’il ne pense. Bien des gens l’ont excité au parricide sans le savoir. Quelques personnes profèrent des paroles indiscrètes et violentes ; un domestique les répète, il les amplifie, il les enfuneste encore, comme disent les Italiens ; d’autres les recueillent ; ceux qui les ont prononcées ne se doutent pas du mal qu’ils ont fait ; ils sont complices involontaires, mais il n’y a eu ni complot ni instigation. En un mot, on connaît bien mal l’esprit humain, si l’on ignore que le fanatisme rend la populace capable de tout.

Quelques personnes, plus confiantes qu’éclairées, veulent nous consoler en nous disant que ces abominations ne reviendront plus. Hélas ! qui vous l’a dit ? Le fanatisme est-il entièrement extirpé ? Ne savez-vous pas de quoi il est capable ? La plupart des honnêtes gens sont instruits, je l’avoue ; les maximes des parlements sont dans nos bouches et dans nos cœurs ; mais la populace n’est-elle pas ce qu’elle était du temps de Henri III et de Henri IV ? N’est-elle pas toujours gouvernée par des moines ? N’est-elle pas trois cents fois au moins plus nombreuse que ceux qui ont reçu une éducation honnête ? N’est-ce pas enfin une traînée de poudre à laquelle on peut mettre un jour le feu ?
Jusqu’à quand se contentera-t-on de palliatifs dans la plus horrible et la plus invétérée des maladies ? Jusqu’à quand se croira-t-on en pleine santé, parce que nos maux ont quelque relâche ? .

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