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Gustave Flaubert

La Bêtise, l’art et la vie
En écrivant Madame Bovary

Gustave Flaubert

Ce texte est un « faux authentique ». Cette longue lettre à Louise Collet, sa maîtresse, Flaubert ne l’a jamais écrite telle quelle.
À partir de la correspondance adressée à Louise Collet entre 1851 et 1855 (près de 250 lettres), j’ai bâti une longue lettre, sorte de synthèse emblématique de la correspondance du Flaubert des années Bovary.

J’ai eu envie de faire un portrait de Flaubert ou, mieux encore, de le mettre en scène à une époque charnière de sa vie. Cet homme qui se cachait et voulait disparaître son oeuvre, je l’ai imaginé, s’adressant toute une nuit, depuis sa petite chambre de Croisset, à Louise Colet, au moment où il devient véritablement un écrivain.
Somptueux mélange de stoïcisme et de misanthropie, de générosité et de scepticisme, de férocité et de bouffonnerie, cette lettre nous révèle un Gustave Flaubert tonique, truculent en diable, au antipodes de je ne sais quel « ermite de Croisset » qui aurait choisi-l’art-contre-la-vie.
Ce texte n’est pas seulement un témoignage exceptionnel sur la genèse au quotidien d’une grande oeuvre, il constitue également un très personnel « Qu’est-ce que la littérature ? » où à ses idées sur l’art, le roman et la critique, Flaubert mêle des attaques vengeresses contre la bêtise et le grotesque de la vie, décochées d’une plume jubilatoire.

Ces extraits sont cousus l’un à l’autre sans intervention de ma part, si ce n’est, çà et là, quelques prépositions ou conjonction que je n’ai pu éviter.

A. V.

Ce texte a été adapté pour le théâtre en 1991 à l’occasion des 20 ans des éditions Complexe.
Interprété par François Perier dans une mise en scène de Claude Chabrol, il a été joué à Paris, en avril au Théâtre Nationale de la Colline, avec l’amical soutien de son directeur Jorge Lavelli ; et à Bruxelles, en mai au théâtre du Résidence Palace.

Presse

Un résultat étonnamment convaincant

Pour fêter les vingt ans de sa maison, André Versaille présente [dans la collection Le Regard littéraire] une lettre « fictive » de Gustave Flaubert, ou, plus exactement, une lettre constituée à partir d’extraits de différentes missives s’enchaînant pour n’en former qu’une seule, censée avoir été écrite au moment de l’élaboration de Madame Bovary. Cet exercice, qui pourra effrayer quelques puristes, aboutit en fait à un résultat étonnamment convaincant, auquel n’a pu parvenir qu’un grand amoureux de Flaubert : André Versaille.

Patrick Kéchichian, « Vingt ans de Complexe », Le Monde, mars 1991.

Tout Flaubert en une lettre

Pour fêter dignement les vingt ans de sa très nécessaire maison, André Versaille qui anime les éditions Complexe avec Danielle Vincken, nous offre une déclaration d’amitié - comme on dit une déclaration d’amour - qu’il a composé pour, et avec le grand teigneux, le bouillant Gustave Flaubert tel qu’en lui-même. C’est là un cadeau somptueux et troublant, car on ne peut guère imaginer de voix plus familière, de propos plus « actuels », et plus fraternels. À se demander si l’Histoire piétine, ou si Flaubert était devin... C’est, pour l’essentiel, à partir des deux cent cinquante lettres environ que Flaubert adressa à Louise Colet, entre 1851 et 1855, à l’époque même où il travaillait à Madame Bovary, qu’André Versaille a condensé une lettre unique.

Faux parfaitement authentique, « synthèse emblématique », qui illustre intrépidement le projet du Regard littéraire : l’affirmation d’un point de vue passionné, radical, sur une œuvre, un entretien compromettant, vital, avec elle.

Cette longue lettre impossible nous fait comprendre l’intégralité des conception et des entreprises de Flaubert : comment son jugement de la politique d’alors est lié à ses désirs d’écrivain, comment sa morale fonde son esthétique, comment sa recherche formidable pour dire « je » aboutit au besoin de faire un « livre sur rien ». C’est dire si cette lettre, qu’on supposerait vite fallacieuse, sait magnifiquement mettre en scène la vérité même de Flaubert. Composée d’extraits « cousus » sans intervention de l’éditeur, elle n’entend pas doubler l’anthologie proposée naguère par Geneviève Bollême, mais offre, vigoureusement, de partager une intimité.

À ce tournant des années 1850, Flaubert a résolut d’écrire contre soi, ce qui manque d’agrément : « Ah, je les aurais connues, les affres de l’art ! » Avec une ironie furieuse, il commente ses efforts, et on ne saurait trop recommander cette lecture à tous ceux qui se font une image un peu jolie de l’inspiration : « Pendant trois jours je me suis vautré sur tous mes meubles et dans toutes les positions possibles pour trouver quoi dire ! » Il y a là une audace, une simplicité proprement revigorantes : « Je ne fais autre chose que de doser de la merde ». Ainsi le travail de l’écrivain est remis à sa place, production compliquée d’un homme en entier, rêves et sueur, impeccablement éclairantes. C’est une merveille, que de voir ainsi un homme se saisir de tout ce qui le compose, et rappeler que d’être un écrivain, c’est simplement trouver les mots, pour dire l’entier du monde.

Evelyne Pieiller, Le Magasine littéraire, avril 1991.

La truculence de Flaubert
Un « faux authentique » écrit par André Versaille, d’après les lettres à Louise Colet, dit par François Périer

Lundi soir, pour les vingt ans des éditions Complexe - que nous évoquions d’autre part - Danielle Vincken et André Versaille avaient offert à leurs nombreux amis un divertissement de choix dans la salle du Résidence Palace : La Bêtise, l’art et la vie, de Gustave Flaubert, dit par François Périer. Le texte n’est pas un pastiche mais « un faux authentique » selon l’expression d’André Versaille qui l’a écrit en cousant l’un à l’autre des extraits de la correspondance adressée à Louise Colet entre 1851 et 1855 (près de 250 lettres datant de l’écriture de Madame Bovary). À travers cette correspondance et sous forme d’une longue lettre écrite par « l’ermite de Croisset » à sa maîtresse, il fait le portrait saisissant du romancier de Bovary dans la trentaine.
POUR RABELAIS, CONTRE LAMARTINE
« J’aime les viandes juteuses », disait Flaubert qui aimait aussi pour leurs « robustes outrances » Shakespeare, Molière et Rabelais (« voilà la grande fontaine des lettres françaises »). Son texte est aussi juteux, somptueux, rabelaisien, parfois lucide, parfois injuste, souvent féroce. Il n’a aucune sympathie pour Lamartine « écrivain sans rythme et homme d’État sans initiative » : « c’est à lui que nous devons tous les embêtements bleuâtres du lyrisme poitrinaire, il n’a jamais pissé que de l’eau claire ». Il n’épargne pas davantage Musset dont la vanité « est de sang bourgeois » et qui « veut mettre le soleil dans sa culotte », ou Auguste Comte, voyant dans sa Philosophie positive « un ouvrage profondément farce et qu’il faut même lire pour cela », avec « des mines de comiques immenses, des Californies de grotesque ».
L’écrivain est aussi un homme qui se raconte, qui clame son amour pour Louise (« toi qui est l’édredon où mon coeur se pose ») mais qui, accumulant les crudités, avoue son « goût pervers » pour la prostitution. Et ici, il faut lire entre les lignes se rappeler qu’à part la parenthèse (très platonique en somme) de Louise Colet (entre 1846 et 1854) et une correspondance amicale, plus tard, avec Georges Sand, Flaubert n’a jamais été heureux avec les femmes et resta marqué par la rencontre, à quatorze ans, d’Élisa Schlésinger qui lui inspira le personnage de Mme Arnoux dans L’Éducation sentimentale.
AMERTUME
De là un certain malaise suscité par le texte, si bien interprété par François Périer, car la truculence débouche sur l’amertume et l’attaque en règle contre les idées reçues (qui set développée dans Bouvard et Pécuchet) dissimule mal le pessimisme foncier d’un malheureux misanthrope bouffonnant à plaisir mais auquel seul l’écriture redonne de la santé.
Il faut remercier André Versaille de nous avoir permis de mieux connaître Flaubert, et il faut espérer que son « faux authentique » sera présenté sur d’autres scènes après les soirées qui marquaient les vingt ans d’une belle maison d’édition.

Jacques Hislaire, La Libre Belgique, 25 mai 1991.

Un faux authentique « cousu », main avec amour et talent

Une longue lettre, un « faux authentique », « cousu » main avec amour et talent par André Versaille. Des deux cent cinquantes lettre que Flaubert envoya en toute liberté à sa poétesse de maîtresse, Louise Colet, le directeur des édition Complexe a condensé une superbe confidence, où les leçons d’art et de vie - un rien paternaliste mais justes, droites, visant à l’essentiel - se mêlent à la jubilation expiatoire d’un auteur astreint à l’écriture d’un roman « sur rien », assommant au sens premier du terme.
Le jour, Flaubert se « corsette » pour restituer ton sur ton l’univers médiocre de Madame Bovary, et, la nuit il se déboutonne par lettres. Il y a là tous les secrets de fabrication d’un écrivain, les ingrédients de son compost.

Les odeurs fades et répugnantes qu’exhale l’humain, où plutôt le Parisien, le bourgeois, ces vapeurs de conneries et de suffisance, sont pour Flaubert bien plus malodorantes que celles des latrines, des bouges ou des ports. Et de comparer la mollesse policée d’un Lamartine, botté, lustré, avec le pied nu, noueux, presque animal d’un pêcheur napolitain. Il voit dans cette comparaison toute l’histoire de la littérature. « Il faut s’en tenir aux sources, Lamartine est un robinet ! » Quel savoir ! Quelle santé !

Les jugements de Flaubert sur l’art, sur ses contemporains, ont les rigueurs d’un Delacroix et les rondeurs d’un Rodin. François Perier a dans l’œil et dans la voix ce mélange savoureux de noblesse et de truculence, de cynisme féroce de de passion, appétit et d’ascèse, d’humour et de moralisme sans pudibonderie. Car Flaubert avait horreur de toute forme d’hypocrisie et compris littéraire et ses recommandations de retenue stylistique s’accompagnent de l’obligation expresse d’éclairer toute entreprise de l’intérieur, par un feu, un rythme et une vérité absolue. 

Il faut découvrir toute affaire cessante, si ce n’est déjà fait, cette lettre de l’auteur de L’Éducation sentimentale qu’André Versaille nous transmet, pour le formidable coup de pied au c... et à l’âme qu’elle nous transmet par procuration !

Sophie Creuz, L’Écho, 6 mai 1991.

un pétillant feu d’artifice flaubertien

Le grand partage anniversaire ne fut pas un gâteau, mais un pétillant feu d’artifice flaubertien : André Versaille a collecté dans la correspondance de l’auteur de Madame Bovary quantité de notes suaves, truculentes, malicieuses, désabusées, rageuses, virulentes, amoureuses.
Cousus de fil jubilatoire, ces extraits dépassent le simple intérêt anecdotique pour découvrir le romancier dans ses charges contre l’éternelle stupidité, dans sa réflexion sur l’art, dans sa longue nuit de création romanesque.

Marc Baronheid, L’Instant, 12 septembre 1991.

The result provides rare

For the house’s 20th anniversary, Versaille concocted a book by Flaubert that Flaubert never wrote, a compilation of groans and cris du cœur about the ordeal of writing and, specifically, writing Madame Bovary. He put La Bêtise, l’art et la vie together from selected passages in the 250 or so letters that Flaubert wrote to Louise Colet. The result provides rare, often painful inside to the self-tormented mind of a major creative writer. It tells us something about Editions Complexe that the book was printed hors commerce, reserved for the friend of the publishers. Danielle Vincken and André Versaille have never insulted the intelligence of their readers, and they know what friends are for.

Cleveland Mofflet, The Bulletin, October 17, 1991.